De la gestion de la crise.
La gestion de la crise que connaît aujourd’hui le Mali est complexe. Mon propos ne sera pas de procéder à une analyse globale et détaillée de la situation singulière du Nord et du Centre-Mali. Sur le terrain, après le succès spectaculaire de l’armée malienne sur l’ensemble du territoire national, nous assistons aujourd’hui à la présence d’une véritable guérilla de terroristes et autres hordes de brigands d’horizons divers- ce qui est un indicateur de la réorganisation de la rébellion et des autres groupes terroristes armés, narco djihadistes. Parallèlement aux actions militaires sur le terrain (attentats, kamikazes, lancement de roquettes artisanales et modernes, actions de coupeurs de routes sur l’ensemble du territoire), une offensive diplomatique sans précédent est engagée pour donner une image négative de notre lutte .
Nous allons juste donner un point de vue sur ce que nous croyons souhaitable de prendre en compte pour une gestion durable de cette situation de crise nationale, dans un environnement sous régional et international lui-même en crise. Nous pensons que ce qui se passe au Nord, au centre et dans plusieurs autres parties du pays, est une des manifestations de la crise que nous vivons au niveau de l’ensemble du Mali.
Cependant, malgré les tentatives de certains groupuscules, armés ou non, de s’ériger en représentants des populations comme par le passé, ce qu’ils ne sont pas en réalité, il ne serait pas juste d’engager des discussions sur le sort des populations locales sans elles. C’est ce que le gouvernement du Mali prend actuellement en compte, mais qu’il faudra mieux élaborer. Il s’agit de la vie de millions de citoyens maliens à qui on fait subir une guerre aussi bien injuste, inopportune que sans issue. La démarche qui implique les représentants des populations à toutes les étapes de résolution de la crise, est la seule qui vaille. Rien n’est possible sans la présence de l’ensemble des parties autour de la table de négociations.
Rappel : Par le Passé, avant l’entame de la transition, c’était le point d’achoppement classique que la volonté de dialogue se heurte à ceux qui ont choisi la voie armée. Or, même au niveau des groupes armés, on s’était focalisé sur le MNLA qui cherchait à tout prix dans son offensive politique et diplomatique de victimisation, à légitimer son discours selon lequel, les kel tamasheqs seraient victimes d’un génocide depuis plus de cinquante ans. Il y a aussi d’autres comme le Ganda Koy, le Ganda Iso, le Front patriotique pour la Résistance, le Mouvement arabe de l’azawad, la Coalition du peuple pour l’azawad CPA , qu’on a marginalisés sans trop prendre en compte leurs aspirations, bien sûr avec toutes les composantes sociales et les pouvoirs locaux, à un moment où il était indiqué de négocier sans compromission.
A un certain moment, ce qu’on a appelé « La décentralisation renforcée », concept par ailleurs qui n’était défini ni dans sa forme, encore moins dans le fond, était évoquée depuis des années comme la solution clef. Cependant, le cadre statutaire proposé, avec une répartition budgétaire plus équitable au niveau des communes, évoquait un contexte où les collectivités territoriales devenaient plus autonomes de l’administration centrale, sans pour autant aborder le problème réel : la viabilité des nouveaux cadres institutionnels et économiques voire des nouvelles modalités d’articulation/intégration des systèmes sociaux et culturels des populations qui vivaient déjà au sein de communautés organisées, relativement harmonieuses et résilientes dans l’espace sahélien. En fait, sans équilibrage politique véritable entre les populations, fussent-elles minoritaires, la décentralisation devient l’affirmation de l’ancien État par une administration locale plus souple. Or, plus que l’accommodement d’un État en déliquescence, il s’agissait de la constitution de véritables nouvelles entités politiques autonomes.
Le problème du « Nord », ainsi que d’autres problèmes régionaux, que le Mali connaît aujourd’hui, qui puisent leurs racines depuis la période coloniale, signifie la mise en question de l’Etat unitaire et par trop centralisateur. Toutefois, plus qu’une élaboration politique abstraite, les souverainetés des parties constituantes reviennent à une définition des rapports entre le pouvoir central et les régions : vision plus proche d’un ordonnancement juridico-politique fédérateur que d’un État unitaire. La situation que vivent les populations, fait partie des pesanteurs du passé agissant sur le présent. Ne trouvant pas de solution d’autonomie, ou d’équilibrage entre les populations en général, les minorités en particulier, dans l’intégrité du territoire, les hommes politiques nient la viabilité de gestion et d’aménagement démocratiques du territoire. Nous ne pouvons pas faire l’Économie d’une réorganisation véritable du territoire qui ne serait pas réduite à la création de nouvelles régions. Toute négociation de fond devra se faire à la lumière d’une nouvelle politique d’organisation et de gestion du Territoire.
Disons pour nous résumer, que dans la résolution de la crise actuelle au Mali, il est souhaitable de :
- Faire participer davantage les communautés villageoises dans la recherche de solutions au renforcement de la cohabitation pacifique à travers les mécanismes qui leurs sont propres.
- Revoir notre politique agraire et mettre en place un système de gestion correcte du foncier rural et urbain, source de nombreux conflits.
- Voir les moyens d’implication de la jeunesse dans la réalisation de travaux d’aménagement dans nos villes et villages, pour pallier les problèmes de besoins de main d’œuvre.
- Revoir la politique actuelle de nomination de personnes sans expérience dans les fonctions administratives des régions où ils doivent faire face à des problèmes pour lesquels ils ne sont pas préparés.
- Poursuivre la dynamique de satisfaction des besoins sociaux de base.
- Renforcer toutes les mesures et entreprises susceptibles de renforcer la confiance entre les communautés, l’Administration et l’armée.
- Encourager les populations à collaborer avec l’Armée pour l’instauration de la sécurité sur l’ensemble du territoire.
- Dans cette période de conflits, le recours à des milices d’autodéfense dans nos villages, dans la mesure où il est difficile, voire impossible de les gérer, est à éviter. C’est la raison pour laquelle un service civique rural peut être une option.
- Lutter contre le Régionalisme, le Sectarisme, le Racisme, le Repli identitaire( notamment ethnique) et l’intolérance religieuse.
Du choix des Hommes en charge de l’exécutif.
Pour les citoyens, c’est légitime qu’ils souhaitent une rapide sortie de crise. C’est tout aussi légitime qu’ils aient une appréciation sur le choix des hommes et des femmes qui sont chargés de présider à leur destinée. Cependant, sans pour autant faire l’avocat du diable, j’ai fait allusion dans mes propos antérieurs au lourd héritage des autorités actuelles. Je pense qu’elles ont à gérer au plus vite toutes les questions auxquelles le pays est confronté. Le défunt pouvoir se voulait rassembleur mais s’est entouré de courtisans dans une ligne idéologique infantile basée sur ce qu’ils ont nommé
« Consensus ». Le général Moussa Traoré en son temps, Amadou Toumani Touré plus tard, avaient tenté la même expérience. Cette tentative, comme dirait l’autre, « a atomisé la scène politique – sans parti politique pour l’appuyer, il recherchait le consensus et réunissait autour de lui des représentants de toutes les tendances. Ce système a peu à peu anesthésié les forces d’alternance, la capacité de proposition des partis, voir tout débat public réel. La corruption s’est généralisée et la cooptation aux plus hautes fonctions de cadres médiocres ont discrédité le régime : de nombreux maliens percevaient désormais le consensus comme un mode pacifique de partage du gâteau dans une démocratie en perte de souffle » . Le même mode de gestion s’ est étendu à la question du « Nord », où les tensions ont été ravivées par le groupe salafiste pour la prédication et le combat(GSPC) devenu en 2006 Al-Qaida au Maghreb Islamique(AQMI), puis par les conséquences de la guerre en Libye, qui a favorisé la circulation des armes dans le Sahel.
Le peu de temps passé dans les sphères de l’Etat m’a permis de comprendre les difficultés qu’on peut rencontrer dans le choix des compétences. Nous sommes dans un pays où le choix de dirigeants d’un type nouveau, dévoués, compétents, plein d’initiatives et doués d’un esprit créateur ; le choix des cadres à placer à la tête des secteurs les plus divers de l’édification économique, sociale et culturelle est une tâche très difficile. La gestion des plans de carrière est aléatoire, le répertoire des cadres par domaines d’activités et leur niveau de formation et de performance inexistant. Dans le lot des équations à résoudre, celui de la gestion des cadres est des plus compliquées. Disons le tout de suite : ce n’est pas l’âge respectable, la jeunesse des postulants, les services rendus dans le passé, de hauts titres ou des relations en vue qui peuvent servir de critères à la nomination à un poste de direction, mais bien le dévouement au pays, allié à un esprit lucide, au bon sens pratique, à de solides connaissances scientifiques et techniques, au talent d’organisateur, à la modestie, à la capacité de mettre en train sans bruit, le travail cohérent de grands collectifs d’hommes dans le cadre de l’organisation du Mali. Seuls des cadres comme ceux-là devraient être promus aux postes de direction pour une refondation de l’Etat malien. Les sphères de l’État ne doivent en aucun cas, être un lieu de stage pour celui qui vient d’être nommé. Nous ne sommes plus en 1960. Le Mali a, depuis, formé beaucoup de cadres de niveau international.
Pour conclure, disons que l’ orientation actuelle, qui se veut de Changement profond de notre société, le Mali-Kura, est inséparablement savoir-constitué et méthode d’analyse, bilan théorique de l’expérience passée et guide pour l’action présente et future. Réaliser la première étape des transformations préconisées par la transition actuelle, ne se fera pas en un instant. Après les élections, Il y faudra des années d’effort, toute une législature, plus encore sans doute pour certaines d’entre elles. Et après ? Les Maliennes et les Maliens qui prennent conscience que ces changements profonds sont nécessaires et possibles prennent en même temps conscience qu’ils obligeront à se poser la question : faut-il s’en tenir là, ou au contraire, aller de l’avant, en prenant appui sur un rapport de forces devenu beaucoup plus favorable aux masses populaires ? Poser cette question, c’est apercevoir le caractère nécessairement transitoire d’une période de développement démocratique, où le mouvement populaire aura imposé des conquêtes exemplaires dans notre histoire, après celles de la Première République, les acquis démocratiques au sortir des 23 années de dictature, et où, en même temps, leur pire adversaire, le néocolonialisme, disposera encore de positions importantes, où des contradictions éclateront entre cette société nouvelle en gestation et la persistance d’anciens rapports d’exploitation et d’oppression. Il est donc naturel que cette question se pose d’ores et déjà. Il est dans la logique du programme des forces aspirant à un changement en profondeur d’un Mali démocratique, libre et prospère.
Cheick Mouyedine Pléa Coulibaly