Considérée comme le symbole de la lutte contre la corruption ces dernières années au Mali, le procès de cette affaire de détournement de plusieurs milliards de francs CFA a commencé le mardi 24 septembre 2024. Retour sur le film de ce scandale financier qui implique de nombreux cadres du régime de l’ancien président de la République, feu Ibrahim Boubacar Keïta.
Courant les années 2013 et 2014, le Gouvernement de la République du Mali a décidé d’acquérir un nouvel aéronef comme avion présidentiel et de fournir aux Forces Armées Maliennes un important lot de matériels et équipements militaires, de véhicules et de pièces de rechange. Ainsi, le 13 novembre 2013, le Ministère de la Défense et des Anciens Combattants (MDAC), représenté par Monsieur Soumeylou Boubeye MAIGA et la Société GUO STAR SARL, représentée par Sidi Mohamed KAGNASSY, signent un premier contrat relatif à la fourniture de matériels d’Habillement, de Couchiage, de Campement et d’Alimentation (HCCA), de véhicules et de pièces de rechange pour un montant de soixante-neuf milliards cent quatre-vingt-trois millions trois cent quatre-vingt-seize mille quatre cent quatre cent soixante-quatorze (69 183 396 474) FCFA. Le même jour, pour le même montant, une deuxième version de ce contrat est signée par le ministre Soumeylou Boubeye MAIGA et la même Société représentée par son véritable Directeur en la personne de Amadou KOUMA.
Le 10 Février 2014, un second contrat dit de Cession-acquisition d’un aéronef est signé entre la République du Mali représentée par Monsieur Soumeylou Boubeye MAIGA, ministre de la Défense et des Anciens Combattants et une Société de droit étranger dénommée AKIRA INVESTMENTS LIMITED, représentée par son Directeur Général Monsieur Kerry Mc Ginley WRIGTH, pour un montant de dix-huit milliards neuf cent quinze millions neuf cent trente-trois mille deux cent soixante- seize (18.915 933 276) FCFA.
De graves manquements décelés dans le contrat
Dans un contexte post-crise marqué par l’engagement des bailleurs de fonds à financer le Plan de Relance Durable du Mali en 2013-2014 et après que les autorités maliennes aient sollicité et obtenu l’aide du Fonds Monétaire International (FMI) à travers un accord appuyé par la Facilité Élargie de Crédit (FEC), des dépenses engagées dans le cadre de ces acquisitioris et fournitures ont suscité l’incompréhension de la part de certains partenaires techniques et financiers (PTF). Sous l’impulsion desdits partenaires, le Gouvernement de la République du Mali saisit le Bureau du Vérificateur Général suivant lettre n°358/PM-CAB en date du 10 juin 2014, afin de conduire un audit de conformité et de performance relatif aux opérations d’acquisition d’un aéronef et de fournitures aux Forces Armées Maliennes des équipements cités plus haut. La mission de vérification conduite par le Bureau du Vérificateur Général permet de déceler de graves manquements à l’orthodoxie financière et comptable et des faits de détournement et de complicité de détournement de deniers publics, suite à des opérations frauduleuses pour un montant de 9 350 120 750F CFA et de surfacturations par faux et usage de faux pour un montant de 29.311 069 068F CFA. La mission a aussi permis de relever des faits susceptibles de constituer l’infraction de trafic d’influence et des cas de fraudes fiscales, mais aussi de graves entorses aux principes gouvernant les marchés publics et délégations de services publics à travers la signature de contrats dépassant le seuil d’approbation des autorités contractantes et la passation, l’exécution et le règlement irréguliers de contrats d’acquisition et de fourniture de matériels et équipements militaires.
Le dossier classé sans suite puis réouvert
Les différents manquements dénoncés par le Vérificateur Général font l’objet d’une enquête préliminaire diligentée par la Brigade économique et financière du Pôle Economique et Financier de Bamako et transmise au Parquet du Pôle Economique et financier du Tribunal de Grande Instance de la Commune III du District de Bamako, suivant procès verbal d’enquête n°016/BEF-PEF du 11 avril 2016. Les enquêtes menées confirment dans une large proportion les faits dénoncés, à savoir, le faux en écriture, l’usage de faux et complicité et le délit de favoritisme contre les nommés Sidi Mohamed KAGNASSY, Amadou KOUMA, Soumeylou Boubéye MAIGA et Madame BOUARE Fily SISSOKO. Après exploitation du procès verbal d’enquêtes, le parquet décide de le classer sans suite au motif que les faits dénoncés ne pouvaient admettre aucune qualification pénale, motif tiré de ce que les différents contrats passés l’ont été sous le sceau secret-défense conformément à la législation communautaire UEMOA et aux dispositions de l’article 8 du Code des Marchés Publics et Délégations de Services Publics et échapperaient ainsi aux dispositions classiques applicables aux marchés publics et délégations de services publics.
Suivant instructions écrites du ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, fondées sur le fait que le classement sans suite ne faisait pas obstacle à la réouverture des enquêtes aussi longtemps que les faits ne seraient pas couverts par la prescription, le Procureur en charge du Pôle économique, suivant lettre N° 033/PR-C III-PEF-BKO en date du 10 Décembre 2019, décide de la réouverture des enquêtes dans ce dossier.
Les faiblesses de la première enquête révélées
Il ressort des dossiers du parquet d’instance que l’enquête menée n’était pas complète, en ce sens que des acteurs majeurs du processus d’acquisition et de fourniture des matériels et équipements militaires n’avaient pu être entendus avant la clôture des enquêtes. Il s’agit en l’occurrence des nommés Mahamadou CAMARA, Directeur de Cabinet du Président de la République avec rang de ministre, Moustapha BEN BARKA, Ministre chargé des investissements, Amadou Makan SIDIBE et Mary DIARRA, Directeurs des Finances et du Matériel (DFM) du Ministère de la Défense et des Anciens Combattants, Moustapha DRABO, Directeur du Matériel, des Hydrocarbures et du Transport des Armées (DMHTA), du Ministère de la Défense et des Anciens Combattants et Nouhoum DABITAO, Directeur du Commissariat des Armées (DCA). Aussi, il ressort que les infractions liées à la violation des dispositions du code des marchés publics (favoritisme et fractionnement notamment) ne sont pas les seules infractions susceptibles à être poursuivies dans cette affaire. Le nouvel examen du dossier a permis d’établir l’existence d’autres faits tels ceux de faux, d’usage de faux, d’atteinte aux biens publics et de corruption, qu’aucun secret de défense ne saurait couvrir. Ainsi, fut dressé le Procès-verbal d’enquêtes préliminaires N° 016/BEF- PEF en date du 26 Février 2020 de la Brigade Economique et Financière du Pôle Economique et Financier de Bamako qui a permis la découverte d’informations complémentaires. Le parquet du pôle économique et financier de Bamako décide l’ouverture d’une information judiciaire contre les nommés Sidi Mohamed KAGNASSY, Amadou KOUMA, Nouhoum KOUMA, Soumaila DIABY et Mahamadou CAMARA, pour des faits de faux en écriture, usage de faux et complicité de ces faits, de complicité d’atteinte aux biens publics et de complicité de favoritisme, contre Marc GAFFAJOLI, Consultant Conseiller du Gouvernement, pour des faits de faux en écriture et complicité d’atteinte aux biens publics par usage de faux et autres malversations.
Des accusés placés en détention provisoire
En août 2021, des accusés dont Soumeylou Boubeye Maïga, Mme Bouaré Fily Sissoko et Mahamadou Camara sont placés en détention provisoire. Le 21 mars 2022, Soumeylou Boubeye Maïga meurt en détention à la suite de plusieurs d’une longue maladie. Quelques mois plus tard, en octobre 2022, le parquet conditionne la mise en liberté de Mme Bouaré Fily Sissoko au paiement d’une caution de 500 millions de franc CFA. L’ancienne ministre de l’économie et des finances ne paie pas la somme et reste en détention. Mahamadou CAMARA obtient la liberté provisoire grâce au paiement d’une caution de la même somme. Dans des lettres ouvertes adressées au président de la Transition, elle demande l’ouverture de son procès. Finalement, le procès ne sera ouvert qu’en septembre 2024.
Le procès continue et dans les prochains jours, la Cour d’assises spéciale sur les crimes économiques et financiers décidera du sort de Bouaré Fily Sissoko et de ses co-accusés.
Mory Keïta
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