Vous avez sans doute aperçu des femmes africaines arborant un tatouage particulier sur la gencive, et peut-être vous êtes-vous demandé ce que cela signifiait. Ce rite ancestral soulève des questions, et il n’est pas toujours facile de remonter à son origine. Bien qu’il soit largement associé à la communauté peulh, le tatouage de la gencive possède une histoire profonde et complexe qui remonte à plusieurs siècles. Dans cette enquête, Aïssata Tindé est allé à la rencontre des praticiennes et des spécialistes pour explorer les racines de ce rite fascinant.
Le tatouage de la gencive est une tradition ancienne, pratiquée depuis des siècles par les femmes africaines, notamment au sein des communautés peulh. Cependant, loin d’être simplement une pratique esthétique, cette coutume est née d’une nécessité bien plus pragmatique : la guérison. Le tatouage de la gencive trouve son origine dans un mal, comme nous l’explique Roukiatou Cissé, une habitante du cercle de Tenekou , dans la région de Mopti.
À l’époque, dans le Djolof, une jeune fille qui s’apprêtait à se marier souffrait d’une infection buccale la veille de son mariage. Pour soulager la douleur, ses parents appliquaient un remède traditionnel à l’intérieur de sa bouche, en piquant délicatement sa gencive avec un brin de bois. Après quelques jours, non seulement la maladie était guérie, mais la bouche tatouée offrait également un sourire radieux, et la future mariée était encore plus belle. Son futur mari en était d’autant plus séduit.
Ainsi, ce qui commença comme une pratique médicale se transforma au fil du temps en un phénomène esthétique, et bientôt, toutes les jeunes filles du village commencèrent à adopter ce rituel, voyant dans ce tatouage un moyen de renforcer leur beauté et leur attractivité. Mais ce rite devint bien plus qu’une simple mode : il devint une obligation sociale.
L’obligation sociale et les moqueries
Dans de nombreuses communautés, particulièrement au sein des Peulhs, le tatouage de la gencive a pris une dimension obligatoire. ANTA Bocoum, une femme âgée de 53 ans, se souvient très bien de l’impact de cette pratique sur sa jeunesse . « Quand j’étais jeune, toute fille qui voulait se marier devait obligatoirement se faire tatouer la gencive. C’était impensable de ne pas le faire. Si tu ne le faisais pas, tu étais moquée, et tu risquais de ne pas trouver de mari. C’était comme une marque de distinction et de beauté, mais aussi un symbole de pureté et de conformité ».
Le tatouage était devenu une marque d’identité, un moyen de se conformer aux attentes sociales et culturelles. Mais ce rite n’était pas sans conséquences : les jeunes filles qui ne se soumettaient pas à cette tradition étaient souvent exclues ou ostracisées.
Un rite en déclin
Cependant, avec les années, le tatouage de la gencive a commencé à perdre de son éclat. D’autres rituels et pratiques esthétiques ont vu le jour, et la pression sociale autour du tatouage de la gencive a diminué. Dans les villages où cette tradition était autrefois florissante, elle devient de plus en plus rare.
« Aujourd’hui, on voit de moins en moins de jeunes filles se faire tatouer la gencive », explique Fatouma AMADOU DIALLO qui poursuit : « Les jeunes générations n’ont plus la même perception de cette coutume. En plus, ceux qui portent encore ce tatouage sont souvent la cible de moqueries de la part de ceux qui n’ont pas cette tradition. Certains trouvent cela dépassé et peu esthétique ».
Les jeunes préfèrent désormais des pratiques esthétiques plus modernes et moins marquées par des symboles traditionnels. Pour beaucoup, le tatouage de la gencive semble être un vestige d’un temps révolu, un rite qui ne correspond plus aux valeurs contemporaines.
L’identité culturelle qui perdure
Malgré son déclin, le tatouage de la gencive reste un élément fondamental de l’identité culturelle pour certaines communautés, et il continue d’être un moyen de se rappeler les racines et l’histoire des ancêtres. Au-delà des moqueries et de la tendance à l’abandonner, pour ceux qui le portent encore, c’est un moyen de maintenir un lien avec la culture et les traditions familiales.
« Ce tatouage est une partie de notre histoire, de notre identité », insiste OUMOU CISSE, une ancienne praticienne du rite. « C’est triste de voir qu’il est de moins en moins pratiqué. Pour nous, c’est un héritage que nous devons transmettre aux générations futures, même si cela devient difficile dans une société qui évolue ».
Un héritage qui change
Ainsi, le tatouage de la gencive est bien plus qu’un simple ornement esthétique : il est le témoin d’une époque révolue, d’une tradition guérisseuse et sociale qui a pris de l’ampleur au fil des siècles. Si aujourd’hui cette pratique semble être en déclin, elle demeure un marqueur puissant de l’identité de certaines communautés africaines. Il nous rappelle que les rites culturels, bien que parfois moqués ou oubliés, sont essentiels à la mémoire collective et à l’histoire de nos sociétés.
Aïssata Tindé
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