Dans la ville des trois caïmans, la violence et la délinquance juvéniles prennent de plus en plus d’ampleur. Notamment chez les adolescents. Attaques à l’arme blanche, usage de machettes, détention d’armes à feu, braquages, vols aggravés, viols… plus rien ne semble pouvoir raisonner certains adolescents dans leur fuite en avant dans la violence. A qui la faute ? Qui doit-on blâmer ? Et quelles solutions envisager pour éteindre cette flamme dévastatrice qui gagne du terrain dans nos rues ?
A Bamako, la violence et la délinquance prennent des proportions dramatiques. Ce tableau très inquiétant, qui n’est certes pas nouveau, empire d’année en année, comme si les autorités et la société tout entière, impuissantes à stopper ce grand mal, s’étaient résignées à subir les conséquences dévastatrices de cette déliquescence de la sécurité urbaine et péri-urbaine. Le fléau doit inquiéter d’autant plus que les actes de vagabondage, de grand banditisme, de viols, bref, de violences acharnées, sont désormais surtout le fait d’adolescents. La plupart âgée de 13 à 16 ou 17 ans seulement. Mais un très jeune âge qui ne sert absolument pas de frein à l’instinct sauvage destructeur qui les anime et qui les pousse à cultiver en eux un comportement irrépressible de brute agressive. De ce fait, de plus en plus, on assiste malheureusement, comme si l’on était dans les quartiers les plus mal famés de New York, Détroit, Chicago ou Ciudad Juarez, à des scènes de violences extrêmes entre jeunes. Pour un rien, souvent… pour une rivalité autour d’une copine, pour un désaccord entre deux “grins”, pour un malentendu entre potes, au sortir d’une soirée dansante etc. ; des bagarres générales, opposant jeunes de “grins” différents, peuvent soudain éclater et dégénérer rapidement. Ou c’est souvent la tentation du paraître, du luxe et de l’argent facile qui obnubile beaucoup d’ados et les transforme, pour leur malheur et celui de la société, en des quasi-gangsters prêts à tout pour se procurer du pognon dans le seul but de faire la fête tapageuse la nuit. Mus par cette rapacité, des centaines de jeunes bamakois ont tôt fait de devenir des pickpockets, au mieux, des “popo man” et des braqueurs impitoyables, au pire, avec le lot élevé de victimes que l’on dénombre chaque nuit à Bamako. Jusqu’où s’arrêtera cette violence et cette délinquance juvéniles débridées ? Selon Diakaridja Traoré, un père de famille, tout part de l’éducation familiale et sociale, ou plutôt de l’absence d’éducation familiale. « Avant, on disait que l’enfant appartenait à toute la communauté. Donc, quand il faisait des bêtises, il était corrigé sur- le-champ par quelqu’un qui n’est même pas de sa famille. Mais, de nos jours, d’autres mentalités se sont installées dans la tête des parents. Personne ne peut encore réprimander un enfant dans la rue sans avoir à subir les foudres des parents mécontents de l’enfant, particulièrement, la mère de l’enfant », se désole notre interrogé. Puis d’enchaîner sur le même ton : « Les parents couvrent leurs enfants, malgré le nombre de choses malsaines qu’ils font. Si l’enfant vole, braque, viole ou tue, ses parents le couvrent et essaient de régler l’affaire par le social ou par la corruption. Il y a de ces crimes ou tu peines à croire que c’est un enfant de 12, 13 ou 14 ans qui les a commis. C’est affreux ! Un adolescent qui a l’habitude d’être protégé ainsi, malgré ces actions dangereuses, n’arrêtera jamais ses méfaits. » Pour Djakaridja, une réelle mobilisation de la part des populations et des autorités s’impose afin de protéger les enfants contre le phénomène de la délinquance juvénile.
Du même avis que Traoré, Mariam Diallo, une mère de famille, pense que ce problème ne doit plus être pris à la légère : « L’environnement inculque à un enfant certains comportements nuisibles pour lui et pour les autres. Les mauvaises fréquentations, la négligence ou la tolérance abusive des parents, une mauvaise condition de vie sont tous des facteurs de la délinquance juvénile. A l’âge de puberté, chaque adolescent est tenté d’adopter des comportements malsains. Mais il revient aux parents et à la société de remettre l’enfant, le plus vite, sur les rails, avant qu’il ne soit trop tard. »
Selon elle, il est urgent d’agir à l’échelle nationale pour essayer de circonscrire ce phénomène, mobiliser et sensibiliser les populations, surtout en ces périodes d’approche des fêtes de fin d’année. « Chaque parent doit protéger son enfant, le corriger quand il le faut, surveiller ces fréquentations. Et, si possible, ne même pas le laisser sortir quand il revient de l’école. Surtout ne pas le laisser sortir seul la nuit, quelle que soit l’excuse. Ce problème concerne tout le monde. Nous pouvons mettre un frein à cette situation si tout le monde y met du sien : parents, médias et, surtout, autorités », exhorte la mère de famille. Qui conclut en ces termes : « C’est vraiment inconcevable de voir un enfant s’adonner au banditisme et souvent aller jusqu’à tuer de sang-froid. J’exhorte toutes les femmes à ne pas couvrir les bêtises de leurs enfants, à les corriger à temps, avant que le pire ne se produise. Également, que chacun fasse attention, surtout lors des périodes de fêtes. Protégeons nos enfants contre ce mal et surveillons-les ».
La délinquance juvénile, même si elle existe depuis belle lurette, n’a jamais été autant généralisée qu’aujourd’hui dans les rues bamakoises. Comme l’ont affirmé nos différents intervenants, il est urgent de prévenir le phénomène. Il y va de la stabilité même du pays tout entier. A cause de cette délinquance, plusieurs adolescents se sont retrouvés derrière les barreaux. Certains continuent d’être couverts par leurs parents et d’autres se font lyncher tout bonnement quand ils sont pris lors de braquages déjoués ou de tentatives de vol ayant échoué.
Aussi, pour mettre encore plus la lumière sur les dangers de ce phénomène, rappelons-nous feu Cheickné Hamaoula Sissoko, un adolescent âgé de 13 ans, victime d’agression par un autre jeune garçon de sa tranche d’âge, à Bacodjicoroni. Le garçon de 13 ans, qui était en classe de 7ème Année, a été violemment poignardé au dos, à trois reprises, avec un couteau, par un autre adolescent du quartier, et cela, lors d’une fête à ciel ouvert communément appelée « Balani show ». Ce malheureux événement s’est déroulé dans la semaine du 14 au 20 novembre 2022. Suite à ses blessures et au sang abondant qu’il a perdu sur place, le jeune garçon a rendu l’âme quelques heures après son arrivée à l’hôpital. Quant au coupable, il a été arrêté par le commissariat du 15ème Arrondissement de Bamako.
Mais combien sont-ils encore ces enfants qui, animés du même esprit criminel que le coupable des coups de poignard décrits ci-dessus, se promènent allégrement dans nos quartiers étant munis de couteaux, de bouteilles de gaz lacrymogène, de machettes et de pistolets en tous genres, prêts à dégainer contre leur camarade au moindre désaccord futile ?