Il est 6 heures du matin à Loulouni. Le marché s’anime sous un ciel encore voilé. Les voix des commerçants et le cliquetis des charrettes se mêlent dans un ballet quotidien. À la croisée des frontières malienne, ivoirienne et burkinabè, ce petit cercle de plus de 100 000 habitants incarne un modèle de coexistence et d’échange. Ici, les barrières géographiques s’effacent sous le poids des relations humaines et commerciales tissées depuis des décennies.
Pourtant, derrière l’effervescence habituelle, un sentiment d’incertitude plane. Depuis l’annonce du retrait du Mali de la CEDEAO, des doutes assombrissent l’horizon. Les habitants se demandent si ce lien si précieux entre les trois nations pourra résister aux tensions politiques.
Dans une petite échoppe en bois, Adama, un commerçant ivoirien, empile des sacs de patates douces. « Je viens ici chaque semaine pour acheter des produits agricoles. Tout le monde se connaît. Nous sommes comme une famille ici », explique-t-il, le sourire rassurant.
À quelques pas de là, une femme burkinabè vend des mangues juteuses à un client venu de Bamako. « Ces frontières, on ne les voit pas. Ce sont nos échanges qui comptent », dit-elle en ajustant son foulard.
Le préfet Sekou Sidi Yaya Coulibaly partage cet avis. « Les limites administratives ne sont pas une barrière pour ces populations. La Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Sénégal, et même la Mauritanie, dépendent de Loulouni pour certains produits comme les tubercules et les légumes », confie-t-il à des journalistes.
Cependant, tout le monde ne partage pas cet optimisme. Assis dans son bureau, le maire Lamine Ouattara ne cache pas son inquiétude : «Nous espérons que la libre circulation des personnes et des biens sera préservée. Si ce n’est pas le cas, cela posera de grandes difficultés pour nous »
Les commerçants locaux redoutent également une hausse des coûts ou une baisse des visiteurs étrangers. « Nos récoltes sont bonnes, mais si les acheteurs ne peuvent plus venir, que ferons-nous ? » se demande Moussa, un cultivateur de patates douces.
Contrairement à d’autres zones de Sikasso, où l’orpaillage est une activité dominante, Loulouni mise sur son potentiel agricole. Ses terres fertiles produisent des tubercules, des fruits et des légumes qui nourrissent les marchés des pays voisins. Cette richesse, bien qu’inestimable, dépend toutefois de l’ouverture des frontières et de la coopération régionale.
Pour Abdrahamane Sidibé, président de la commission finance et économie du conseil régional, ces relations commerciales et culturelles profondément ancrées resteront une force. « Avant la CEDEAO, ces liens existaient. Je suis convaincu qu’ils survivront à cette décision. Nous devons continuer à travailler ensemble. »
En fin de journée, alors que le soleil se couche sur les champs verdoyants, la vie continue à Loulouni. Les habitants espèrent que le bon sens prévaudra et que les relations humaines surpasseront les barrières politiques. « Nous avons traversé bien des épreuves, et nous en sortirons encore plus forts », conclut Adama, le commerçant ivoirien.
Abdrahamane Baba Kouyaté, de retour de la tournée régionale de l’UJRM à Sikasso